| | Introduction | Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3 | Conclusion | Bibliographie | Annexes | Remerciements
Petite remarque avant de commencer : cette publicité a été choisie pour une raison pratique. J’ai travaillé à France Telecom pendant plusieurs mois et on m’a fourni certaines informations sur la campagne dont fait partie cette publicité (Annexe 2). C’est malheureusement la seule publicité pour laquelle j’ai obtenu des informations sur les objectifs qu’elle devait obtenir.
France Telecom
Pack Bienvenue Wanadoo — coffret comprenant un modem, un CDRom d’installation et d’inscription et une notice d’utilisation de l’Internet.
1 F.A.I. : Fournisseur d'Accès à Internet, désigné très souvent par l'anglicisme Provider
La campagne lancée en 1997 par l’opérateur historique à deux objectifs. Le premier est d’inciter les consommateurs à utiliser l’internet et le deuxième est de le faire en passant par Wanadoo, son activité de connexion internet. Mais cette politique a un objectif sous-jacent, car cette campagne a profité aussi aux autres fournisseurs d’accès Internet 1. C’est de faire augmenter le plus possible l’utilisation du réseau téléphonique — l’opérateur historique est le seul à avoir un réseau propre, les concurrents lui achètent donc les communications en gros, à la façon des agences de voyages pour leurs destinations.
Je n’utiliserai pas le terme d’ “élément” car une publicité télévisuelle est séquentielle, mais celui de “partie”. Chaque partie correspond à un élément important de la publicité.
Cette publicité se compose de 3 parties, :
Elle est courte et relativement simple (voir image 1). Un plan fixe sur le sable d’une plage (on suppose que c’est le sable d’une plage grâce à la présence des petits cailloux). En surimpression, en caractères blancs détourés de noir (pour une plus grande visibilité) le texte suivant : «Ceux qui ont les mêmes goûts gagnent toujours à se rencontrer». Ce texte est repris par une voix off masculine.
Il se dégage, par la simplicité de l’image, par la difficulté à accepter la valeur sémantique du texte qui est libellé comme un fait dont on va donner un exemple et par le contraste entre cette simplicité et cette complexité une impression de mystère.
Comment prouver cela avec du sable ? L’accroche joue son rôle. Elle attire l’attention, le graphisme du sable évoque les vacances, et une destination appréciée, la mer et le sud, le texte provoque l’intrigue grâce au contraste entre l’image et son signifié.
Le but étant d’intriguer le spectateur pour qu’il reste devant son écran pour regarder la suite, stimuler sa curiosité.
C’est
ici un argumentaire. Le style adopté est celui d’un très court métrage lors
d’une conversation dans un forum sur l’internet. Pour magnifier ce type de discussion,
qui est peu engageant au premier abord car il nécessite de se connecter, puis
de rechercher le forum voulu, puis de taper et de lire des textes, l’annonceur
a choisi de symboliser le procédé dans la mise en scène.
En premier lieu, tout ce qui est, de près ou de loin, outil technologique est
banni, le forum, c’est à dire l’endroit ou les échanges d’informations se fait
est symbolisé par une île et internet par l’immensité sans limites de l’océan
et du ciel. De plus, chaque intervenant se retrouve sur cette île, mais il n’y
est pas prisonnier.
Chacun des personnages possède des éléments qu’il avait au moment de la connexion
et tous ont un point commun, le même livre.
S’ils sont tous en train de discuter sur le ton d’une conversation à bâtons
rompus, c’est qu’ils ont le même sujet de conversation, un livre de Mary Higgins
Clarke. Ce livre est le symbole de leur réunion. Et le choix de personnages
hétéroclites, une jeune femme, un Canadien dans la force de l’âge, un garçon
et une vieille dame, n’est pas innocent. Il représente l’ensemble des couches
de population et le message est claire, l’annonceur ne cible pas ici un groupe
de personnes d’un âge particulier. Tout le monde est visé dans ce spot car tout
le monde y est représenté.
La conclusion de ce court métrage se passe à l’arrivée, après l’interlude de quelques secondes (image 7) et qui peut symboliser un espace temporel de silence, ou représenter des internautes, les mouettes, volant par les vents du World Wild Web, de Mary Higgins Clarke, l’auteur DU livre. Son intervention finale (voir transcription) crée une rupture entre la diégèse et ce que voit le public.
Bien sûr l’histoire continue, on le voit sur le plan suivant ou les logos de Wanadoo et du Pack Bienvenue apparaissent en superposition d’un plan d’ensemble du groupe discutant avec leur auteur préféré. On les voit encore quelques instants, mais leur discussion est redevenue du domaine du privé et ne regarde plus le public.
Le slogan : Le dernier Plan apparaît donc comme le rideau qui tombe après une représentation, mais qui n’est pas théâtrale et donne l’occasion de faire apparaître le slogan de la marque «Nous allons vous faire aimer l’an 2000». Il est important de noter que ce slogan est en service chez l’annonceur depuis 1993.
L’enchaînement Accroche, Argumentation, Présentation du Produit suivi ou accompagné du Slogan de la marque est le schéma classique de la publicité télévisuelle et répond aux besoins spécifique du media télévisuel.
Il est d’abord nécessaire d’intéresser les spectateurs afin d’éviter qu’ils relâchent leur attention, quittent leur écran de télévision, ou changent de chaîne. D’où l’utilisation de tous les moyens possibles pour attirer l’attention et la garder. L’exercice est difficile, les annonceurs n’ont que 3 à 4 secondes pour arriver à leur fin : persuader les gens de rester devant leur télévision et être attentifs. Les moyens sont les effets comiques, une création d’attente comme le suspens ou la mise en question d’une idée appartenant à la doxa ou une utilisation énigmatique d’un élément appartenant à la même doxa.
Cette publicité utilise d’une manière énigmatique un concept de la doxa qui est «qui se ressemble s’assemble». L’élément qui crée l’énigme est le fond sablonneux et ondulé sur lequel on perçoit de petits galets et qui évoque une plage donc la mer, donc les vacances. La phrase en superposition vient contredire cette apparente logique car elle évoque un sujet tout à fait différent, ce qui attire l’attention. Elle propose de prouver ce qui peut passer pour une évidence, tout en la présentant comme évidente, ce qui provoque l’attente.
Nos spectateurs sont prêt à subir l’argumentation. Or il n’y a pas d’argumentation en bonne et due forme. Le corps de la publicité est une symbolisation d’une discussion à bâton rompus prenant d’un coup comme sujet celui d’un livre d’un auteur connu. Le clou du spectacle est l’apparition et l’intervention de l’auteur du livre.
On a une tentative de persuasion implicite. Elle utilise les orientations persuasives suivantes :
Deux buts. Le premier est d’augmenter le nombre d’internautes, le deuxième est de faire qu’ils passent par le produit de l’annonceur, le «pack bienvenue». Pour atteindre le premier objectif, il faut d’abord faire connaître le produit. En France, l’internet n’est utilisé, au moment de la campagne de 1997-98 dans laquelle s’insère cette publicité, que des cadres et des étudiants de l’enseignement supérieur.
2 Forum de discussion : point de rendez-vous virtuel sur le net ou tout le monde est libre de discuter d’un sujet donné. Chaque forum a un sujet. L’échange des messages se fait soit par un équivalent des emails, mais qui est adressé au forum et non à une personne en particulier, soit par chat, ce qui est plus rare.
Afin d’intéresser le grand public, l’annonceur a choisi l’aspect du produit qui est susceptible de l’intéresser le plus, les Forums de discussion 2 et/ou les chats 3. L’annonceur valorise cet aspect de la manière suivante :
1 - Le monde de l’informatique est perçu comme extrêmement complexe par une majorité de personnes, donc il faut exclure tout élément technique. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas le moindre signe de technologie dans la publicité, même le packaging produit (qui comprend un modem) est gommé et n’est représenté que par son logo.
Ce parti pris entraîne la contrainte suivante : si on ne peut pas montrer de technologie pour vendre un produit de haute technologie, il faut soit faire de l’hyperbole du type biblique, soit du symbolisme. Le second procédé à été choisi. Les publicitaires ont donc symbolisés un dialogue sur le net entre quatre personnes.
3 Chat : c’est une application qui permet de dialoguer en temps réel sur le net, en ligne de commande.
Les orientations représentés symboliquement sont :
On obtient une convergence de ces orientations. L’explicitation de cette symbolique est empathique. Si on représente cette convergence d’orientations par un syllogisme, on obtient :
Vous n’avez pas / ne connaissez pas internet
Or internet c’est a et b et c et d et en plus e
Donc abonnez-vous et choisissez nous
La majeure est implicitée par la mineure et par le fait que c’est une publicité
La mineure est symbolisée dans le corps de la publicité
La conclusion est explicitée par la voix-off au plan 23 : «Pour y accéder facilement, le Pack Wanadoo de France Telecom»
La fonction conative est déguisée en fonction poétique (la symbolisation) et référentielle (sous-jacente).
La pénétration dans l’espace privé, réalisée par l’accroche, utilise la troisième personne pour plusieurs raisons. Pour plus de crédibilité les annonceurs n’utilisent que fort rarement le «je» et le «nous», car selon l’adage «on ne peut être à la fois juge et partie» et cette manière de procéder pourrait être interprétée comme une forme de menace, un FTA ou Face Threatening Act. De plus cette utilisation du «il» est un adouccisseur, un anti-FTA.
Dans le corpus, seule une publicité utilise la première personne. Pour éviter cette tournure, les annonceurs font appel à de nombreux artifices :
En résumé, l’annonceur utilise la technique d’identification (le «on» doxatique et l’utilisateur simulé), le phénomène de mode (l’utilisation de l’image d’une star) ou le conseil du professionnel, qui ne doit pas être trop technique pour rester compréhensible, mais l’être assez pour être crédible.
On ne peut , ici déterminer qui parle, ce qui a aussi pour effet d’augmenter le caractère énigmatique de ce premier plan, et donc la curiosité du spectateur.
En fait, après avoir comparé la manière dont est présentée cette publicité et le sujet de la conversation des acteurs, on remarque une ressemblance entre elle et la trame d’un roman noir :
L’annonceur utilise le suspens pour garder l’attention du spectateur, en ne livrant que des informations relativement contradictoires. L’intérêt de cette démarche est simple, la présentation du produit est la chute de l’histoire, le point focal de l’attention du spectateur.
Une fois le spectateur attentif d’un bout à l’autre des 30 secondes que dure cette publicité, il faut qu’il puisse suivre pourquoi ce produit est à consommer.
On a vu les différents avantages, orientations persuasives symbolisés ici :
4Amorce : au cinéma est un morceau d’un acteur, d’un objet qui occulte une petite partie de l’écran, mais laisse la place centrale de l’image à un autre personnage. L’être ou l’objet en amorce permet au spectateur de l’inclure dans la diégèse, sans pour autant lui donner de l’importance, le principe est de montrer que le sujet principal n’est pas seul.
Les personnages représentent tous soit une tranche d’âge, soit une classe sociale différente, soit un pays, de manière à ce que tout un chacun puisse s’identifier à l’un d’eux. La cible est ici la plus large possible, puisque c’est toute la population qui est visée.
Il ne faut pas oublier non plus que la liberté totale d’expression est l’un des principes de base de l’internet.
Le slogan date de 1993 (voir annexe 2). Or au début des années 90 la situation économique était désastreuse : Fort taux de chômage, situation précaire pour beaucoup de gens et peu d’ouverture vers l’avenir.
«Nous allons vous faire aimer l’an 2000».
C’est une orientation persuasive : L’an 2000 s’annonce triste [donc vous n’allez pas l’apprécier]
Loi de passage : L’an 2000 sera triste, catastrophique peut être. Des oiseaux de mauvaise augure ont prédit des catastrophes pour l’an 2000, voire la fin du monde !
Mais nous sommes là
Donc vous allez aimer l’an 2000
Il est arrogant mais optimiste et fait pour du long terme.
Contrairement à la publicité qui ne peut faire appel qu’à une voix extérieure pour parler du produit, le slogan, qui parle de la marque, utilise souvent le «nous» qui représente l’annonceur. Le slogan est aussi la seule partie du discours qui peut fonctionner seule.
Le nous est ici cataphorique de la signature «France Telecom» alors que le vous est déictique du lecteur et le prend à partie.
L’émetteur et le récepteur sont parfaitement définis, l’argumentation est sous forme d’enthymème, mais on peut aussi l’analyser autrement.
Cette phrase paraît un peu étrange. Si «nous» va faire aimer l’an 2000 à «vous», c’est que l’an 2000 n’est pas aimé (voir ci-dessus).
On a donc une structure sous-jacente du «mais» de Ducrot :
p = l’an 2000 est mauvais -> r = vous n’allez pas l’aimer
Mais q = nous sommes là -> r’ = Vous allez l’aimer
C’est dans ce cas un mais sous-jacent qui inverse l’argumentation.
Dans le cas ou l’on considérerait ce type de persuasion comme une argumentation, l’argument «or nous sommes là» qui se veut un argument d’autorité n’est pas valide. C’est là que l’argumentation failli, car une entreprise ne peut faire le bonheur du monde.
Cette orientation persuasive est finalement un paralogisme d’ambiguïté reposant sur les possibilités finies et prévisibles par le bon sens, de l’annonceur.